Elle était déchaussée, elle était décoiffée,
Assise, les pieds nus, parmi les joncs penchants;
Moi qui passais par là, je crus voir une fée,
Et je lui dis: Veux-tu t’en venir dans les champs?
Elle me regarda de ce regard suprême
Qui reste à la beauté quand nous en triomphons,
Et je lui dis: Veux-tu, c’est le mois où l’on aime,
Veux-tu nous en aller sous les arbres profonds?
Elle essuya ses pieds à l’herbe de la rive;
Elle me regarda pour la seconde fois,
Et la belle fôlatre devint alors pensive.
Oh! comme les oiseaux chantaient au fond des bois!
Comme l’eau caressait doucement le rivage!
Je vis venir à moi, dans les grands roseaux verts,
La belle fille heureuse, effarée et sauvage,
Ses cheveux dans ses yeux, et riant au travers.
Puisque j’ai mis ma lèvre à ta coupe encor pleine,
Puisque j’ai dans tes mains posé mon front pâli,
Puisque j’ai respiré parfois la douce haleine
De ton âme, parfum dans l’ombre enseveli,
Puisqu’il me fut donné de t’entendre me dire
Les mots où se répand le coeur mystérieux,
Puisque j’ai vu pleurer, puisque j’ai vu sourire
Ta bouche sur ma bouche et tes yeux sur mes yeux;
Puisque j’ai vu briller sur ma tête ravie
Un rayon de ton astre, hélas! voilé toujours,
Puisque j’ai vu tomber dans l’onde de ma vie
Une feuille de rose arrachée à tes jours,
Je puis maintenant dire aux rapides années:
Passez! passez toujours! je n’ai plus à vieillir!
Allez-vous-en avec vos fleurs toutes fanées;
J’ai dans l’âme une fleur que nul ne peu cueillir!
Votre aile en le heurtant ne fera rien répandre
Du vase où je m’abreuve et que j’ai bien rempli.
Mon âme a plus de feu que vous n’avez de cendre!
Mon coeur a plu d’amour que vous n’avez d’oubli!
Parfois, lorsque tout dort, je m’assieds plein de joie
Sous le dôme étoilé qui sur nos fronts flamboie;
J’écoute si d’en haut il tombe quelque bruit;
Et l’heure vraiment me frappe de son aile
Quand je contemple, ému, cette fête éternelle
Que le ciel rayonnant donne au monde la nuit.
Souvent alors j’ai cru que ces soleils de flamme
Dans ce monde endormi n’échauffaient que mon âme;
Qu’à les comprendre seul j’étais prédestiné;
Que j’étais, moi, vaine ombre obscure et taciturne,
Le roi mystérieux de la pompe nocturne;
Que le ciel pour moi seul s’était illuminé!
Que t’importe, mon coeur, ces naissances de rois,
C’est victoires qui font éclater à la fois
Cloches et canons en volées,
Et louer le seigneur en pompeux appareil,
Et la nuit, dans le ciel des viles en éveil,
Monter des gerbes étoilées?
Porte ailleurs ton regard sur Dieu seul arrêté.
Rien ici-bas qui n’ait en soi sa vanité;
La gloire fuit à tire-d’aile;
Couronnes, mitres d’or, brillent, mais durent peu.
Elles ne valent pas le brin d’herbe que Dieu
Fait pour le nid de l’hirondelle!
Hélas! plus de grandeur contient plus de néant.
La bombe atteint plutôt l’obélisque géant
Que la tourelle des colombes.
C’est toujours par la mort que Dieu s’unit aux rois.
Leur couronne dorée a pour faîte sa croix,
Son temple est pavé de leurs tombes.
Quoi! hauteur de nos tours, splendeur de nos palais,
Napoléon, César, Mahomet, Périclès,
Rien qui tombe et ne s’efface!
Mystérieux abîme où l’esprit se confond!
A quelques pieds sous terre un silence profond,
Et tant de bruit à la surface!
Oh! n’insultez jamais une femme qui tombe!
Qui sait sous quel fardeau la pauvre âme succombe!
Qui sait combien de jours sa faim a combattu!
Quand le vent du malheur ébranlait leur vertu,
Qui de nous n’a pas vu de ces femmes brisées
S’y cramponner de leurs mains épuisées!
Comme au bout d’une branche on voit étinceler
Une goutte de pluie où le ciel vient briller,
Qu’on secoue avec l’arbre et qui tremble et qui lutte,
Perle avant de tomber et fange après sa chute!
La faute en est à nous. A toi, riche! à ton or!
Cette fange d’ailleurs contient l’eau pure encor.
Pour que la goutte d’eau sorte de la poussière,
Et redevienne perle en sa splendeur première,
Il suffit, c’est ainsi que tout remonte au jour,
D’un rayon de soleil ou d’un rayon d’amour!
J’étais seul près des flots, par une nuit d’étoiles.
Jeune fille, l’amour, c’est d’abord un miroir
Où la femme coquette et belle aime à se voir,
Et, gaie ou rêveuse, se penche;
Puis, comme la vertu, quand il a votre coeur,
Il en chasse le mal et le vice moqueur,
Et vous fait l’âme pure et blanche;
Puis on descend un peu, le pied vous glisse…-Alors
C’est un abîme! en vain la main s’attache aux bords,
On s’en va dans l’eau qui tournoie!-
L’amour est charmant, pur, et mortel. N’y crois pas!
Tel enfant, par un fleuve attiré pas à pas,
S’y mire, s’y lave et s’y noie.
C’est le moment crépusculaire
J’admire, assis sous un portail,
Le reste de jour dont séclaire
La dernière heure de travail.
Dans les terres, de nuit baignées,
Je contemple, ému, les haillons
D’un vieillard qui jette à poignées
La moisson future aux sillons.
Sa haute silhouette noire
Domine les profonds labours.
On sent à quel point il doit croire
A la fuite utile des jours.
Il marche dans la plaine immense,
Va, vient, lance la graine au loin,
Rouvre sa main, et recommence,
Et je m’édite, obscur témoin,
Pendant que, déployant ses voiles,
L’ombre, où se mêle une rumeur,
Semble élargir jusqu’aux étoiles
Le geste auguste du semeur.
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